Le Conseil de presse du Québec rejette deux plaintes contre «Le Devoir», mais en retient une

Dans une série de décisions rendues récemment, le Conseil de presse du Québec (CDP) a rejeté deux plaintes formulées contre Le Devoir, mais en a retenu une troisième. La chroniqueuse Emilie Nicolas a été blâmée pour avoir écrit « une information inexacte » dans une de ses chroniques portant sur « la violence et l’impunité policières ».
Dans son texte « Briser le tabou, repenser la police » publié le 4 juin 2020, Emilie Nicolas remettait en question le rôle d’indépendance du Bureau des enquêtes indépendantes (BEI).
« Durant les trois premières années d’existence du BEI, 126 personnes ont subi des blessures assez graves aux mains de la police québécoise pour qu’un processus d’enquête soit déclenché, dont 71 personnes qui en sont mortes », écrivait la chroniqueuse, en s’appuyant sur un article de la CBC.
Cette manière de présenter les chiffres est « inexacte », selon le plaignant Maxime Drapeau, qui déplore aussi « un manque de rigueur de raisonnement » de Mme Nicolas et « l’absence de correctif » de la part du Devoir.
Rapports du BEI à l’appui, il soutient que « les policiers ont peu, voire aucune incidence, sur la grande majorité des décès ou blessures subies par les personnes impliquées ».
Celles-ci ont été blessées ou sont mortes avant même l’arrivée des agents.
« Inexactitude »
Le tribunal d’honneur des médias a donné raison au plaignant sur la question de « l’inexactitude ». Il considère que même si Emilie Nicolas prend le temps d’expliquer le rôle du BEI, l’utilisation de l’expression « aux mains de la police » laisse entendre — à tort — que les policiers sont responsables des blessures et des morts. L’article de la CBC faisait pourtant bien mention de morts ou de blessures survenues lors « d’opérations policières », et non « aux mains de » la police, note le Conseil de presse (CDP).
Le CDP conclut que « la chroniqueuse aurait pu vérifier ces informations à la source en consultant les rapports d’enquêtes du BEI afin d’éviter de produire une information qui n’est pas fidèle à la réalité ».
Il juge de plus que Le Devoir aurait dû corriger cette inexactitude qui avait été signalée par le plaignant. Après avoir pris connaissance de la décision du CDP, Le Devoir a fait la correction dans la version numérique de la chronique jeudi.
Le CDP a par contre rejeté à majorité le grief de « manque de rigueur de raisonnement », jugeant que la chroniqueuse n’a pas fait d’amalgame ou de conclusion fallacieuse.
« Contrairement à ce que soutient le plaignant, la chroniqueuse ne remet pas en doute le principe de présomption d’innocence des policiers en raison de leur emploi. Emilie Nicolas défend plutôt son opinion concernant l’indépendance du BEI. »
Plaintes rejetées
Par ailleurs, le Conseil de presse a rejeté deux autres plaintes impliquant Le Devoir. La première visait la chronique « Se rat kay kap manje kay », signée par Christian Rioux le 23 juillet 2020. Le plaignant, soit l’organisme Debout pour la dignité, reprochait plusieurs inexactitudes, un manque de rigueur de raisonnement et de la discrimination dans ce texte. Le chroniqueur y abordait sa perspective sur l’histoire d’Haïti, son indépendance et l’identité de son peuple.
Le CDP a rejeté l’entièreté de la plainte jugeant que les arguments mis en avant relèvent plutôt d’une divergence d’opinions.
« Dans le contexte du journalisme d’opinion et de la liberté d’expression, le chroniqueur pouvait présenter son point de vue sur sa vision de l’identité haïtienne et sur sa construction […], même si on peut comprendre que le plaignant et d’autres ne soient pas d’accord », souligne-t-on dans la décision.
Une lettre d’opinion
Dans le deuxième cas, la plainte visait directement Le Devoir pour avoir publié le 23 juin 2020 la lettre d’opinion d’une lectrice intitulée « Que cache la cabale contre J.K. Rowling ? ».
Son autrice, Nassira Belloula, revenait sur la controverse engendrée par les propos de l’autrice de la saga Harry Potter qui se moquait de l’emploi de l’expression « personnes qui ont des menstruations » et se positionnait sur « le concept de sexe biologique ». Dans sa lettre, Mme Belloula se range du côté de J.K. Rowling.
Là encore, le CDP a entièrement rejeté la plainte. L’organisme a estimé à majorité que les termes utilisés, comme « hommes transformés en femmes » ou encore « vraies femmes », ne sont pas discriminatoires et n’incitent pas à la haine envers les personnes trans, comme le soutenait le plaignant, Vincent Bourassa-Bédard.
« Il s’agit d’une interprétation de ce qu’est une femme, bien qu’elle ait pu en offenser certains. [Or] le fait de choquer ou de heurter le public ne constitue pas un manquement déontologique », peut-on lire dans la décision.
Le Conseil ajoute « que ce n’est pas parce qu’un sujet est sensible et qu’il peut heurter des gens que les médias d’information doivent s’empêcher de présenter des points de vue divergents ».