Ces escrocs qui volent la vedette à l’écran

Norbourg sortira le 22 avril au cinéma, avec comme têtes d’affiche Vincent-Guillaume Otis (à gauche) et François Arnaud (à droite) dans les rôles respectifs d’Éric Asselin et de Vincent Lacroix.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Norbourg sortira le 22 avril au cinéma, avec comme têtes d’affiche Vincent-Guillaume Otis (à gauche) et François Arnaud (à droite) dans les rôles respectifs d’Éric Asselin et de Vincent Lacroix.

Par leur audace, leur manipulation et leur manque de scrupules, les arnaqueurs nous fascinent autant qu’ils nous rebutent. Un détail qui n’a pas échappé aux studios de cinéma et aux plateformes numériques, qui multiplient les récits d’escroquerie inspirés d’histoires bien réelles, d’ici et d’ailleurs. Tour d’horizon d’un phénomène à succès.

Qui ne se souvient pas de l’affaire Norbourg, ce scandale financier qui a secoué le Québec au milieu des années 2000 ? L’homme d’affaires Vincent Lacroix, alors à la tête de la firme de placement et de gestion de fonds Norbourg, avait détourné 130 millions de dollars venant des poches de milliers de petits épargnants.

Cette fraude invraisemblable, comme on en voit seulement dans les films, a justement inspiré le réalisateur Maxime Giroux et le scénariste Simon Lavoie. Ils en ont fait un thriller racontant la mécanique derrière cette arnaque et les failles du système de surveillance, qui n’a pas su l’arrêter plus tôt.

Leur long métrage, intitulé Norbourg, sort le 22 avril prochain au cinéma. En tête d’affiche, on retrouve les acteurs Vincent-Guillaume Otis et François Arnaud dans les rôles respectifs d’Éric Asselin et de Vincent Lacroix. Contre toute attente, l’histoire n’est pas centrée sur ce dernier, mais plutôt sur l’inspecteur et vérificateur Éric Asselin.

« C’est Vincent Lacroix qui s’est retrouvé sous les projecteurs. C’est lui qui a été condamné à 18 ans de prison — et en a fait juste 3. Peu de gens savent que son bras droit tirait les ficelles. Très rusé, Asselin a aménagé sa sortie en négociant son immunité tout en permettant la révélation au grand jour du scandale », explique en entrevue Simon Lavoie, confiant avoir longtemps été habité par les personnages de cette fraude bien de chez nous.

Des arnaques à la pelle

Les escrocs fascinent le public et nourrissent l’imaginaire cinématographique depuis longtemps. On pense notamment à The Grifters (Les arnaqueurs, 1990), mais aussi à Catch Me If You Can (Arrête-moi si tu peux, 2002) et à The Wolf of Wall Street (Le loup de Wall Street, 2013). Mais la tendance s’est accélérée ces derniers temps, surtout sur les plateformes numériques.

En février et en mars, Netflix a dévoilé plusieurs grosses productions du genre, toutes inspirées de faits réels, dont certaines qui se sont maintenues dans les 10 premières positions du palmarès des visionnements pendant des semaines.

 

Parmi elles, la fiction Inventing Anna (L’invention d’Anna), calquée sur l’histoire vraie d’Anna Sorokin, une jeune Russe qui, en se faisant passer pour une millionnaire allemande, soutirait des centaines de milliers de dollars à des membres de la haute société new-yorkaise pour se payer sa vie de princesse.

Le documentaire The Tinder Swindler (L’arnaqueur de Tinder), qui relate l’histoire de l’Israélien Shimon Hayut, a aussi beaucoup retenu l’attention. Cet arnaqueur trouvait ses victimes sur l’application de rencontre Tinder, où il se faisait passer pour un gentleman milliardaire avec le nom d’emprunt Simon Leviev. Il les séduisait à coups de grandes déclarations, de cadeaux et de voyages de rêve, pour ensuite leur réclamer des millions sous prétexte qu’il était en danger.

Il y a aussi la série documentaire Bad Vegan (Bad Vegan. Arnaque au menu). Celle-ci relate l’histoire de la restauratrice new-yorkaise Sarma Melngailis, qui a détourné des millions pour atteindre « la vie éternelle ». Ou encore la série biographique The Dropout, sur Disney+, au sujet d’Elizabeth Holmes et de sa compagnie Theranos, qui s’est avérée une escroquerie de plusieurs millions de dollars. Sans oublier WeCrashed, sur Apple TV+, qui porte sur le désastre financier de l’entreprise de bureaux partagés WeWork.

« Les diffuseurs ont compris que ce genre de productions attirait l’attention des spectateurs, note Stéfany Boisvert, professeure à l’École des médias de l’UQAM. Ils misent sur notre envie de juger moralement ces arnaqueurs, tout en nourrissant notre fascination pour l’extrême richesse et la célébrité dont ils ont bénéficié. »

Mme Boisvert regrette toutefois que l’accent soit souvent mis sur le train de vie princier de ces arnaqueurs : hôtels haut de gamme, vêtements de marque, restaurants chics, avions privés, voyages paradisiaques, voitures de luxe, etc. « Il y a beaucoup de sensationnalisme. On exploite la célébrité et la richesse des escrocs. »

Résultat : au lieu d’être dans la condamnation de ces comportements répréhensibles, on crée presque de nouvelles idoles, selon elle.

Par exemple, les accessoires et les vêtements de luxe portés par Anna Delvey — alias Anna Sorokin — ont connu une explosion de leurs ventes après la sortie de la série Netflix. La jeune arnaqueuse, toujours en détention, continue pour sa part d’alimenter son compte Instagram, qui a connu un bond de popularité, et elle prépare un documentaire sur sa vie. Quant à Shimon Hayut, libre comme l’air, il a aussi connu un regain de popularité sur ses réseaux sociaux depuis la diffusion de The Tinder Swindler.

Miroir de notre société

 

Mais comment parler de ces histoires sans tomber dans la glorification ? « Il ne faut pas vendre du rêve. Il faut montrer les conséquences des fraudes, la souffrance des victimes, leur donner davantage la parole », soutient la professeure Boisvert.

« Suivre des héros négatifs, ça vient avec une ambiguïté et une responsabilité morale », reconnaît Simon Lavoie, qui a écrit Norbourg. Comme Mme Boisvert, il juge primordial de laisser une place aux victimes pour ne pas tomber dans la glorification des « méchants ». Par contre, pour que le public croie à l’histoire et la comprenne, il était nécessaire, à son avis, de montrer comment l’argent détourné par Vincent Lacroix était utilisé dans les restaurants, les bars de danseuses, l’alcool à volonté ou les voyages en tout-inclus.

Et à ceux qui se questionnent sur la pertinence d’adapter ces histoires de fraude au grand écran, M. Lavoie leur répond qu’il y a là un « devoir de mémoire ». « Il faut montrer les côtés sombres de notre histoire, montrer que ça arrive aussi au Québec, ce genre de fraude. Il ne faut pas oublier et rester vigilant. »

« En parler, c’est conscientiser la population. Ces histoires montrent comment la richesse, la visibilité et la reconnaissance sont valorisées dans nos sociétés, à tel point que certains vont jusqu’à mentir, tromper, frauder pour y arriver », ajoute Mme Boisvert. « Ça montre également comment les crimes d’ordre économique sont encore invisibles et peu punis. »

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