«West Side Story»: les amants de New York

Steven Spielberg offre une nouvelle version fougueuse et virtuose du classique des planches et du grand écran.
Photo: Niko Tavernise Steven Spielberg offre une nouvelle version fougueuse et virtuose du classique des planches et du grand écran.

Après avoir boudé ce vénérable genre ces dernières décennies à quelques exceptions près, Hollywood a vu, en 2021, un regain notable d’affection pour le film musical. Durant l’année écoulée, on a ainsi eu droit au pire, soit Dear Evan Hansen (Cher Evan Hansen), au très bon, c’est-à-dire In the Heights (D’où l’on vient), comme au meilleur, voir Tick, Tick… Boom !. La palme revient cependant à West Side Story, une reprise du classique de Broadway déjà adapté, avec Oscar du meilleur film à la clé, il y a pile 60 ans. Steven Spielberg en signe la réalisation, l’une de ses meilleures.

Lui qui avait jusqu’à présent tâté d’à peu près tous les genres sauf celui-là, Spielberg trouve presque une seconde jeunesse. Il est vrai que le cinéaste a su s’entourer d’une brillante distribution majoritairement vingtenaire.

Pour mémoire, le spectacle original de 1957, avec livret d’Arthur Laurents, musique de Leonard Bernstein, paroles de Stephen Sondheim et chorégraphies de Jerome Robbins, s’inspire librement de Roméo et Juliette, de Shakespeare. L’intrigue se déroule à New York, en été, et oppose deux gangs de rue rivaux : les Jets, qui sont blancs, et les Sharks, qui sont Portoricains.

Au hasard d’une danse, Tony (Ansel Elgort), ancien membre fondateur des Jets, a le coup de foudre, et vice versa, pour Maria (Rachel Zegler), la sœur cadette de Bernardo (David Alvarez), chef des Sharks. Une fois découvert, cet amour interdit servira de prétexte à un affrontement entre les deux clans.

Plus convaincant

 

Avec l’aide du dramaturge et scénariste Tony Kushner (Angels in America, Munich), Steven Spielberg reprend le récit original qu’il garde campé dans les années 1950, mais qu’il actualise çà et là, surtout dans le dialogue, qui diffère volontiers du livret original. Maria et sa belle-sœur Anita (Ariana DeBose) tiennent tête au macho Bernardo, le personnage d’Anybodys n’est plus une « tomboy », mais s’identifie explicitement comme garçon (sous les traits de l’interprète non binaire Iris Menas), l’agression contre Anita est désignée comme un viol, la violence de rue est plus crue…

En guise de toile de fond inédite : une gentrification effrénée et des personnages réduits à danser sur des ruines ; saisissantes visions.

Aspect significatif, la distribution respecte le caractère multiculturel du récit. Ce n’était pas le cas en 1961, et c’est là l’un des éléments faisant que le film a mal vieilli, avec le doublage des voix chantées des vedettes. Après que des acteurs blancs au maquillage foncé eussent joué les personnages d’origine portoricaine, c’est au tour d’interprètes d’héritage latino-américain de s’y coller, avec moult répliques en espagnol (non sous-titrées, sans que la compréhension en pâtisse).

Le résultat est beaucoup plus convaincant, d’autant que le thème du racisme est prévalent dans West Side Story — même qu’il l’est encore davantage dans la version de Spielberg.

Hommage et réinvention

 

De fait, si le thème plus large de la haine est nommé dans le célèbre monologue final de Maria, c’est celui du racisme, précisément, qui court en filigrane de l’histoire. Car aux yeux des autorités, incarnées par le lieutenant Schrank (Corey Stoll), les Jets et les Sharks ne sont pas égaux. À plus d’une occasion, le policier tente de convaincre les premiers de dénoncer les seconds, dont il est bien plus pressé de se débarrasser.

Dans l’ensemble, toutefois, cette nouvelle incarnation s’avère un hommage au spectacle et au film de Robert Wise et Jerome Robbins. Le côté « expressionnisme en couleurs » est délaissé au profit d’un réalisme magnifié (superbe direction photo de Janusz Kamiński), mais les clins d’œil abondent.

Lauréate de l’Oscar de la meilleure actrice de soutien pour le film original et première Latino-Américaine récompensée de la sorte, Rita Moreno est d’ailleurs de retour, cette fois dans le rôle de Valentina (Doc à l’origine), patronne et logeuse de Tony. Entrées dans la culture populaire, les mélodies caressent l’oreille (Something’s Coming, Tonight) tandis que les chorégraphies, qui firent date en leur temps, se voient un brin accélérées.

À cet égard, les numéros épatent, même que The Dance at the Gym et America (déplacé en pleine rue) supplantent leurs modèles.

 

Remarquable sur le plan technique, la mise en scène de Steven Spielberg prouve qu’à 74 ans, 72 au moment du tournage, l’artiste n’a rien perdu de sa fougue ou de son brio. Parfaitement en phase l’un avec l’autre, les flots narratif et formel transportent le public dans un passé qui interpelle distinctement le présent. Du grand cinéma, du grand Spielberg. 

West Side Story (V.O. et V.F.)

★★★★★

Drame musical de Steven Spielberg. Avec Ansel Elgort, Rachel Zegler, Ariana DeBose, David Alvarez, Mike Faist, Corey Stoll, Rita Moreno. États-Unis, 2021, 156 minutes. En salle.

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