Du temps pour fabriquer et regarder des expositions, sur la Rive-Sud

« Il y a un endroit où les graines poussent tous en tas où tout est haut », chantent Les Trois Accords dans leur hymne St-Bruno. À l’écart de l’autoroute 20 d’où le groupe la fantasme, la petite municipalité, au sud de Montréal, reste loin des projecteurs malgré l’attrait du centre d’exposition du Vieux Presbytère et son offre sûre en arts visuels. Les expositions en cours d’Eveline Boulva et d’Andrée-Anne Dupuis Bourret s’inscrivent parfaitement dans cet écrin historique en pierres des champs, qui invite à méditer sur le temps qui passe.
Densifier le temps
À l’étage, Andrée-Anne Dupuis Bourret se démarque par les accumulations affolantes qu’elle décline en trois installations constituées de matériaux pauvres. Dans l’œuvre maîtresse, Les tentatives et les abandons (collection) (2018-2021), les tendres couleurs qui parent joliment la multitude d’objets trouvés, les matériaux récupérés et les prototypes d’atelier font oublier leur usure comme leur modestie. Professeure en arts visuels à l’UQAM, l’artiste a même intégré les résidus de travaux étudiants.
En un tout rassemblées, ces explorations matérielles valorisent les rejets, voient dans chacun des gestes leur nécessité. Profus et organisé, le dispositif se compare à un comptoir à bonbons, qui offre une abondance en soi agréable à regarder, un champ de possibles. Depuis la maison de la culture Mercier où elle a été présentée une première fois, en 2021, l’œuvre gagne ici en portée, à la faveur d’un cadre plus chaleureux et domestique.
La maison est le contexte de référence évoqué par l’artiste dans cette exposition hantée, comme plusieurs, par les confinements pandémiques que pointent les deux autres œuvres. L’actualité se lit en filigrane dans les journaux, des exemplaires du Devoir en l’occurrence, empilés, teintés et découpés à qui mieux mieux, selon un jeu sur les surfaces imprimées cher à l’artiste. Entre deuil et résistance, des plants de romarin cultivés ouvrent quant à eux, dans le travail de Dupuis Bourret, une nouvelle direction où la patience du geste reste de mise.
Eveline Boulva et le paysage
En voyageuse qu’elle est, Eveline Boulva continue de scruter en images les paysages qu’elle a parcourus. Elle rassemble ici deux corpus découlant de séjours loin de chez elle, l’un à Belize et l’autre à Terre-Neuve. À partir de photos et de représentations de nature scientifique, elle traduit à l’aquarelle et au graphite des territoires en transformation.
Aux abords de la mer des Caraïbes, en Amérique centrale, les impacts des changements climatiques sont plus manifestes, laissent entendre les œuvres de l’artiste de Québec dans la première série, qui fait voir des motifs de palmiers et de mangroves. Tempêtes, ouragans et érosion guettent ces morceaux de nature loin des séduisantes cartes postales.
Les touristes vont à Terre-Neuve pour apercevoir au printemps les icebergs à la dérive. Leur nombre fluctuerait avec le réchauffement de la planète. C’est peut-être pourquoi Boulva en magnifie l’observation par deux dessins au graphite qui, comme dans l’ensemble de ses œuvres, frappent par leur précision extrême. Une structure en grille fait système, marque le temps qui a passé sur ces monceaux de glace très âgés. Le « faire » attentif de l’artiste les retient en quelque sorte. À moins que, déjà, ce ne soient plus que des mirages.
Photo et cinéma à Longueuil
Le thème du temps est aussi présent chez Michel Lamothe et Bertrand Carrière, qui se partagent les cimaises à la maison de la culture de Longueuil. Ces deux piliers de la photographie au Québec — dont le travail fait respectivement l’objet d’études substantielles, sous la plume entre autres de Pierre Rannou, dans des monographies publiées aux éditions Plein Sud et Expression, centre d’exposition de Saint-Hyacinthe — ont pour autre accointance de cultiver des liens avec le cinéma.
Le premier est cinéaste, mais il se consacre autant à la photographie. Dans les œuvres récentes qu’il présente ici, des impressions numériques à partir de tirages argentiques, il s’intéresse à des environnements familiers ou visités. Le noir et blanc, les bougés et le grain manifeste octroient aux scènes un mystère prégnant. Une jetée (clin d’œil à Chris Marker), une marina avec ses bateaux quasi effacés et des vues sur des cimetières font la part belle aux fantômes.
Lui aussi auteur de films à ses heures, photographe de plateau et collaborateur entre autres de la revue 24 images, Bertrand Carrière a franchement entremêlé photo et cinéma, comme en témoignent les corpus présentés. Les images-temps (1997-2000) ont été produites à l’aide d’une caméra de cinéma 16 mm. Les tirages argentiques, des photogrammes, isolent des instants, conservent les traces du mouvement dans des scènes fortement atmosphériques à saveur autobiographique.
D’autres rendent avec brio un hommage, telle l’impression au jet d’encre Le cheval qui court (2018), en référence à Muybridge qui, avec sa chrono-photographie, a ouvert la voie aux avant-gardes du début du XXe siècle, soucieuses d’évoquer le mouvement dans l’image fixe. Carrière suspend le temps aussi dans la série Les images-noires (2018). En créant des points d’orgue sur des extraits appropriés de films noirs américains du passé, il en exacerbe les codes visuels tout en liquidant l’histoire. La tension dramatique reste, elle, à son apogée.
À Roberto Pellegrinuzzi le Parcours du lac
Le centre d’exposition du Vieux Presbytère, à Saint-Bruno-de-Montarville, s’anime de panneaux où l’art s’expose à l’extérieur, dans un parcours autour du lac du Village. Le photographe montréalais Roberto Pellegrinuzzi présente 16 photos tirées de son projet Mémoires (2015), qui cumulait des dizaines de milliers de clichés dits pris à l’aveugle. Devant les morceaux choisis, peut-on encore le dire? L’exposition Résonances se poursuit jusqu’au 30 avril.