Une nouvelle histoire, au-delà des chapelles

Il n’y a peut-être qu’une lettre de plus à son acronyme, mais le musée qui se cache dans une ancienne église de l’avenue Sainte-Croix, dans le Vieux-Saint-Laurent, a une tout autre mine. Passé de Musée des maîtres et artisans du Québec (MMAQ) à Musée des métiers d’arts du Québec (MUMAQ), l’établissement n’a pas que modifié son nom. C’est le discours qui a changé, la manière de présenter le savoir-faire québécois qui, depuis des siècles, s’exprime sur bois, métal, verre, tissus et bien d’autres matières.
Fondé en 1979 sous, déjà, un autre nom — le Musée d’art de Saint-Laurent —, le MUMAQ veut sortir de l’ombre une fois pour toutes. Sa mission demeure celle de la conservation et de la diffusion de l’artisanat. L’exposition permanente inaugurée en juin, Objets témoins, ouvre cependant les portes à la mixité. Elle reflète mieux la réalité des artistes d’aujourd’hui, qui mélangent les matières, travaillent de moins en moins en vase clos.
C’est l’arrivée en 2018 de Perrette Subtil à la direction générale qui est à l’origine du nouveau MUMAQ. Pour cette femme venue des arts de la scène, la notoriété et la fréquentation du musée enclavé dans le cégep Saint-Laurent se situaient « très en dessous ».
Les métiers d’art étaient au-dessus de nos têtes, dans le bois sculpté, les anges, les voûtes, les chapiteaux de pierre, les confessionnaux, l’orgue… Ce qui me dérangeait [avec les expos planifiées jusque-là], c’est qu’on ne les voyait pas. La relation avec le bâtiment était minimisée.
« Ça me paraissait très clair que, pour aller de l’avant, il fallait dépoussiérer la chose, éclaircir le mandat. MMAQ, ça ne disait pas grand-chose sur la collection. En plus, ça me paraissait réducteur par rapport aux femmes », commente la directrice, mal à l’aise avec l’appellation « maîtres et artisans ».
L’exposition permanente planifiée par la direction précédente a représenté un autre défi. Censé renouveler l’offre, le projet reprenait les mêmes plis depuis les origines du musée, soit l’exposé par famille de métiers. En décembre 2018, Perrette Subtil a arrêté « la locomotive qui était lancée » tant elle doutait de la qualité.
Un comité de réflexion a été mis sur pied et, des discussions, une question est sortie : si on ne parle pas des métiers d’art par familles, qu’est-ce que le musée veut dire ? La réponse est venue de la tisserande et présidente du conseil d’administration Louise Lemieux-Bérubé : « Que les métiers d’art se parlent. »

À la fin de l’été 2019, le scénario de l’exposition aujourd’hui en salle était dessiné. Il repose sur plusieurs piliers. Faire côtoyer la tapisserie et la joaillerie, le cuir et la céramique. Miser sur la multidisciplinarité des artistes. Raconter, à partir de la collection du MUMAQ, les métiers d’art comme jamais.
« La collection n’est pas parfaite, il y a des trous, bien sûr, mais peut soutenir un discours historique, dit Perrette Subtil. L’expo a le mérite de faire une part du travail, parce qu’on la connaît mal, l’histoire des métiers d’art. »
L’église, objet à contempler
Une autre conclusion du comité aura été déterminante. Et non la moindre : mettre en valeur l’enceinte patrimoniale qui accueille le musée.
« Les métiers d’art étaient au-dessus de nos têtes, dans le bois sculpté, les anges, les voûtes, les chapiteaux de pierre, les confessionnaux, l’orgue… Ce qui me dérangeait [avec les expos planifiées jusque-là], c’est qu’on ne les voyait pas. La relation avec le bâtiment était minimisée », estime la directrice, formée en architecture et en muséologie.

« L’église, selon moi, est le principal artéfact à exposer. J’ai voulu travailler en collaboration avec elle, la respecter comme objet de contemplation », explique Laurent Michel Tremblay, le scénographe appelé à concevoir le design de l’expo. « La scénographie, précise-t-il. Par scénographie, on ne parle plus seulement de l’objet, mais aussi de l’espace, de l’expérience du visiteur dans cet espace. C’est comme au théâtre, on construit un décor dans lequel les acteurs se promènent. Dans une salle d’expo, les acteurs, ce sont les visiteurs. »
Le résultat est frappant, tant cette chapelle aux multiples vies (voir encadré) est mieux mise en valeur, du chemin de croix aux vitraux. Laurent Michel Tremblay s’est inspiré de la symétrie de l’architecture pour laisser, au centre de la salle, un corridor dégagé, bien perceptible. Il a aussi repris les formes arrondies des ogives dans l’éclairage des textes.
De la colonie au nouveau millénaire
Le MUMAQ, ce sont plus de 10 000 objets réalisés depuis l’époque de la Nouvelle-France. Pour l’exposition Objets témoins, quelque 375 d’entre eux ont été retenus, présentés en six périodes historiques, de « Colonie et Conquête » à « Le nouveau millénaire ». Chacune est rythmée de sous-thèmes, certains récurrents : la formation, le savoir-faire, les styles, énumère Murielle Gagnon.
« Ce sont toujours les mêmes préoccupations pour les artisans, dit la conservatrice du MUMAQ, celle d’être formé, celle de survivre. Et une fois qu’on survit, de s’élever dans son art. »
Les progrès technologiques ont fait apparaître des procédés. « Avec l’industrialisation se sont développés des fours plus petits qui ont permis à des verriers d’avoir des petites productions. Avec l’apparition des ordinateurs, les artisans ne s’entêtent plus à utiliser que des techniques traditionnelles », donne en exemple Murielle Gagnon.
Le MUMAQ fait à peine ses premiers pas que déjà, en interne, on sait que beaucoup reste à faire. Les politiques d’acquisition seront notamment revues tant des trous sont à combler, en regard du travail des femmes, de celui des communautés autochtones aussi.
« On a des défis, beaucoup de choses à traiter, à discuter, confie Perrette Subtil. L’objectif est d’intégrer des œuvres plus représentatives. Mais avant de les intégrer, il faut savoir qui fait quoi, trouver les bons interlocuteurs. On est au début, mais je suis consciente de l’urgence. »
Une chapelle aux multiples vies
Le bâtiment qui abrite le MUMAQ est la propriété du cégep Saint-Laurent, comme tous ceux qu’il a hérités des Pères de Sainte-Croix, qui y ont administré un collège classique jusqu’en 1967. De confession catholique, la chapelle aura été dans une première vie une église presbytérienne… du centre-ville de Montréal. Visée par la démolition, elle a été rachetée par les Pères de Sainte-Croix, démontée pierre par pierre et rebâtie au nord de l’île en 1930. Les vitraux et bien des éléments architecturaux sont alors ajoutés pour répondre à sa nouvelle vocation religieuse. Ce sont eux qui reprennent vie avec la nouvelle configuration du musée.